Justice. Les bretonnants étaient à la peine

Jusqu'au début du XXesiècle, 90% de la population finistérienne parlait uniquement breton. Comment ces gens pouvaient-ils se faire entendre d'une justice rendue en français? Annick Le Douget s'est penchée sur la question.

Greffière au tribunal de Quimper, Annick Le Douget s'est intéressée au sort réservé aux bretonnants confrontés à la justice après la Révolution et jusqu'au Second Empire.
Greffière au tribunal de Quimper, Annick Le Douget s'est intéressée au sort réservé aux bretonnants confrontés à la justice après la Révolution et jusqu'au Second Empire.
Hasard? Chance? Il arrive qu'au cours de ses recherches, une découverte oriente l'historien vers des pistes inexplorées. C'est ce qui est arrivé à Annick Le Douget, greffière au tribunal de Quimper, qui prépare, depuis deux ans, un doctorat d'études celtiques. Sa thèse porte sur les violences familiales dans le Finistère au XIXesiècle. Accusateur public contre l'usage du breton Lors d'une séance de dépouillement aux archives nationales à Paris, elle met la main sur un document inédit, un mémoire de Louis Julien de Roujoux, accusateur public du Finistère. «C'est l'équivalent du procureur actuel. Le 4 frimaire de l'an IV, soit le 25novembre 1795, il adresse un mémoire au ministre de la Justice dans lequel il évoque les problèmes linguistiques auxquels est confrontée la justice depuis la mise en place, en 1792, de l'institution judiciaire. C'est l'époque où avaient été institués les juges de paix. Au début, la Convention avait décidé que tout le monde pouvait être élu». Comme partout en France, la justice devait être rendue en français. Mais comment faire dans un département tel que le Finistère où 90% de la population parlait une seule langue, le breton? À une époque où le français est déclaré langue de la République et considéré comme la langue des élites? La langue des ignorants Dans son mémoire, Roujoux, rallié au régime, s'élève contre la nomination de jurés bretonnants monolingues. Il écrit: «Les fonctions de juré de jugement sont trop importantes pour être abandonnées à l'ignorance et à l'ineptie». Pour lui, «le breton est une langue morte». Pour ses recherches, Annick Le Douget s'est appuyée sur une seconde source d'archives: les comptes rendus des présidents de la cour d'assises qu'ils adressaient tous les trimestres au ministère de la Justice. «Ils y font part des problèmes liés à l'usage de la langue bretonne en cours d'assises». Même si, depuis une ordonnance de 1670, un interprète intervient lors du jugement pour traduire les échanges. Un système qui a perduré jusqu'à la fin du XIXe ou début du XXesiècle, l'usage du français se généralisant, notamment grâce à l'école. Des magistrats et des jurés compatissants Dans leurs rapports, les magistrats reprochaient à ce système d'alourdir la procédure à «une époque où deux à trois affaires passaient chaque jourdevantlacour d'assises. Il s'agissait, le plus souvent, de vols. À l'époque, ces délits n'étaient pas correctionnalisés», note Annick LeDouget. «Mais la Justice n'était pas insensible. Certains magistrats se sont apitoyés sur le sort des accusés. Ainsi, durant la crise céréalière de 1846-1847, on a vu des jurys faire des collectes pour l'accusé, un père de famille qui avait volé pour nourrir sa famille». Des magistrats bretonnants ont aussi siégé en cours d'assises. Certains ont relevé des erreurs de traduction qui ont pu porter préjudice à l'accusé. «Les plaidoiries, les réquisitions n'étaient pas traduites en breton. L'avocat parlait français. Souvent, il ne faisait qu'indiquer la peine en breton à son client». Ces difficultés peuvent expliquer, selon Annick Le Douget, ce particularisme bas-breton qui a consisté «en une forte résistance culturelle au système judiciaire, aumoins jusqu'aux années 1870». Justice française et langue bretonne. Jurés et accusés monolingues bretons dans le Finistère, de la Révolution au Second Empire». Bulletin de la société archéologique du Finistère, tome CXXXVIII, 2010. Tél.02.98.95.08.21.

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