Marc Trévidic. Le juge breton qui défie Sarkozy

Attentat de Karachi, moines de Tibéhirine, génocide rwandais, réforme pénale. Le juge Trévidic dérange. Il est l'un de ces magistrats enquêteurs qui ne renoncent jamais. L'un de ces juges dont Nicolas Sarkozy ne veut plus entendre parler. Portrait d'un juge d'instruction... en sursis.

MarcTrévidic mène la fronde contre la suppression du juge d'instruction, décidée par Nicolas Sarkozy. Photo Philippe Dobrowolska
MarcTrévidic mène la fronde contre la suppression du juge d'instruction, décidée par Nicolas Sarkozy. Photo Philippe Dobrowolska
 Qui va payer le milliard des frégates de Taïwan ? Vous ! Il est l'un des symboles de la révolte des juges. Marc Trévidic, âgé de 45 ans, juge antiterroriste, président de l'Association française des magistrats instructeurs (Afmi), mène la fronde contre la suppression du juge d'instruction, décidée par Nicolas Sarkozy. Pourquoi? Dans son bureau de la galerie Saint-Éloi, au dernier étage du palais de justice de Paris, la réponse figure sur un autocollant rose flashy, ostensiblement placé au dos de l'écran de son ordinateur: «Assis, debout mais pas couché. Pas de justice sans indépendance». En quelques années, cet homme à la silhouette gracile et austère et à l'étonnant franc-parler s'est taillé une solide réputation. Bûcheur, tenace. Mais ouvert et humain. Un «incorruptible» de la trempe des Renaud Van Ruymbeke, Eva Joly, Thierry Jean-Pierre ou Éric Halphen. Père breton, mère basque C'est pourtant presque par hasard que ce fils d'un père breton et d'une mère basque, cadres chez Renault, est devenu magistrat. «C'est un professeur, quand j'étais étudiant en droit, qui m'a remarqué et m'a conseillé cette filière. J'ai dit ?pourquoi pas??». L'École nationale de la magistrature est pour lui «une seconde naissance». «Cela m'a passionné». Très vite, il trouve sa voie: juge d'instruction. «J'avais en tête les images du juge cow-boy, du justicier». Son premier poste l'attend à Péronne, en Picardie. Il a 25 ans. «Là, je suis tombé du cheval». Pas à cause du boulot. Il adore. «Les corbeaux, le brouillard, l'odeur des betteraves. C'était dur au début». De ces années, il dit, aujourd'hui, qu'elles sont «les plus belles» de sa carrière. «On était plus libre et on entretenait de vrais liens avec les enquêteurs». Il cite une anecdote. L'histoire d'un vieil homme qui n'avait jamais mis ses économies dans une banque et qui, un jour, s'est tout fait dérober. «On a retrouvé le voleur. Mais il ne voulait pas dire où il avait caché l'argent». Le juge le fait venir, un 24décembre, dans son bureau. «Tu me dis tout et tu passes Noël en famille». Le voleur crache le morceau. «J'ai rendu l'argent au vieux monsieur, libéré le voleur. Et on a tous passé un très bonNoël». «Impossible de procéder ainsi aujourd'hui, déplore-t-il. On a tout compliqué. On a sifflé la fin des rapports humains. Avant, dans une audition, la moitié était en ?off? et ça arrangeait tout le monde. Aujourd'hui, on veut tout filmer. Chacun fera son sketch et les enquêtes n'avanceront pas». Le dossier des indépendantistes bretons 1991. Le magistrat change de casquette et de région. Direction la Bretagne, où il prend un poste de substitut du procureur à Nantes. Il y reste sixans, partagé entre le tout-venant et les assises. En 1997, il rejoint la huitième section du parquet de Paris. Là où les juges enfilent les flagrants délits à la chaîne, avec des comparutions immédiates qui s'étirent jusqu'à 2h du matin. «Une maison de fous!», souffle-t-il en riant. Début 2000, il échoue dans une autre «maison de fous»: la section antiterroriste. C'est là qu'il retrouve des Bretons, des indépendantistes ayant basculé dans la lutte armée. Sa hiérarchie lui demande de requérir le renvoi de l'un des mis en examen, GaëlRoblin, devant la cour d'assises spéciale. Il refuse, convaincu que les charges sont «insuffisantes». «J'ai été convoqué par le procureur général. J'ai répété mon opposition. L'époque était saine. On m'a laissé faire», commente-t-il. La statuette de Ben Laden Le juge enchaîne avec l'islam radical. «Cela n'intéressait alors pas grand monde. C'est moi qui m'y suis collé». Il règle les attentats de 1995, travaille sur les premières filières afghanes et les premiers dossiers Al-Qaïda. Le sujet le passionne. Culture, géopolitique, religion. Il dévore tout ce qui traite du sujet. Lit le Coran. Avale livres, vieux dossiers d'archives. Rencontre les spécialistes du renseignement. Sillonne la planète pour comprendre. «J'ai fait tout le Maghreb plusieurs fois», rapporte-t-il. Il part en vacances dans le sultanat d'Oman, parcourt l'Égypte, le Liban, la Syrie, le Yémen. Le Pakistan, d'où il ramène, bien avant septembre2001, une statuette représentant un certain... Ben Laden. En 2003, il éprouve le besoin de changer d'air. «Il faut savoir se désintoxiquer du terrorisme», explique-t-il. Il redevient juge d'instruction et part explorer les arcanes des affaires financières, au pôle de Nanterre. Deux ans plus tard, quand on lui propose de revenir au pôle antiterroriste, comme juge d'instruction, il hésite. Mais finit par signer. «Quand on a été ?interné? une fois...». Signe des temps qui changent, la menace terroriste mobilise désormais huit juges, contre quatre, troisans plus tôt. L'un d'eux, Jean-Louis Bruguière, vient de quitter la maison pour se lancer en politique. Marc Trévidic récupère ses dossiers. Trois d'entre eux vont le plonger dans les eaux troubles et tourmentées de la raison d'État. Pour Karachi (lire ci-dessous), le génocide rwandais et les moines de Tibéhirine, le juge ne cédera pas. Ses questions et ses enquêtes vont déranger jusqu'au plus haut sommet de l'État.

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