L'île et elle, Batz et moi. Tel est le sujet de ce livre qui fait le portrait des îliens de ce bout du Finistère et conduit l'auteur à plonger en elle-même. La petite Parisienne va-t-elle résister à l'isolement et aux rigueurs de la vie au grand air? Un récit attachant et sincère qu'il faut lire cet été.
> Un livre qui fait des vagues
"Sur une île, rien n'est facile», écrit GuénaëlleBaily-Daujon, venue avec son envie de citadine de fuir la ville et le besoin de trouver ses racines. Enez Vaz, «l'île basse», face à Roscoff (29). Batz a des airs de Larzac sur mer pour cette jeune femme arrivée en 2004, avec deux enfants sous le bras et le plein de rêves pour tout bagage. Le parfum de noix de coco des ajoncs en fleur sous le ciel bleu, l'iode et l'air pur, tout paraît merveilleux. «Se vider de soi, se laisser porter par le vol d'une nuée, note l'écrivain en herbe, sous le coup de l'ivresse des premiers mois. Je voudrais concentrer mes émotions et, d'un regard sur l'horizon, les envoyer, les partager avec d'autres, plus loin, mes amis absents».
«Une île de femmes»
Ile rime avec exil, comme dans un album de DidierSquiban, et son mari réalisateur doit pour vivre regagner le continent. La voici seule, avec la musique du vent qui souffle et se déchaîne. À la fois libre et prisonnière, en tête-à-tête avec elle-même. Prête, enfin, à partir à la rencontre des îliens. S'acclimater puis apprivoiser et se faire accepter. D'Adèle, l'agricultrice, et ses rêves enfuis de bonheur et de broderie. De Mathilde, l'aînée d'une fratrie de huit. Ana, pêcheuse à pied aux prises miraculeuses. Pauline, qui a enlevé les miroirs de chez elle pour ne pas se voir vieillir. Et Diane, belle comme la nuit. «L'île est une île de femmes et c'est auprès de femmes plus âgées que moi que j'ai trouvé de l'amitié, confie Guénaëlle. Heureusement d'ailleurs que j'ai ce prénom, et que ma grand-mère vient de Ploujean (29), cela m'a servi de passeport». Une île c'est, en effet, un pays étrange, presque un continent étranger où le monde est scindé entre résidents et vacanciers. Ceux-ci ont beau représenter 65% de la population, ils restent minoritaires par rapport aux 507 habitants.
La boucle de la Ceinture dorée du Léon
À cette première ligne de fracture, il faut en ajouter une autre entre marins et agriculteurs. «Ceux-ci envient un peu les pêcheurs, dont le travail offre plus liberté, mais ce sont les paysans qui ont le pouvoir», remarque celle qui est devenue correspondante du Télégramme sur l'île. Batz est la boucle de la Ceinture dorée du Léon, terre fertile où le limon et le travail assurent une relative prospérité. Certains hommes ont même un pied dans les deux univers, comme Pierre, le goémonier. Il y a donc des hommes sur ce caillou de granit et de sable qui abrite un jardin d'Éden, celui de GeorgesDelaselle, dont Max est le gardien. Il y a aussi Félicien, le résistant de la première heure. Et Armand, révolutionnaire malheureux, qui voulait convertir toute l'île à l'agriculture bio avant de se casser les dents sur «l'impossibilité de rassembler les gens». Tout paradis a son serpent et Batz ne fait pas exception, avec son Trou du serpent, «Toul al sarpant», baptisé ainsi en hommage à saintPol qui terrassa de son glaive le dragon.
Un secret qui pèse sur l'île...
Au cours de ses rencontres, celle qui voulait autrefois être juge pour enfants, a mis le doigt sur un secret qui pèse sur l'île et la divise toujours aujourd'hui. «Quelque chose d'encore plus dramatique que la marée noire de l'Amoco Cadiz», lâche-t-elle, énigmatique, laissant le soin aux lecteurs de découvrir ce drame intime et collectif. «Une île rapproche les uns des autres, autant qu'elle isole, et j'ai été au bout de ce fantasme de solitude qui a débouché sur une grande angoisse», confie, avec courage, la romancière, qui rappelle le désir d'ensauvagement d'un Robert Louis Stevenson quittant l'Écosse pour les îles Samoa. Il y a surtout du Jean-Jacques Rousseau dans cette femme-là, avec les maladresses de la sincérité, autant que de l'Agnès Varda, confessant à loisir les veuves de Noirmoutier. Après avoir déménagé du nord-est de l'île et trouvé une nouvelle maison au sud, elle se montre désormais plus apaisée. «Je n'étais peut-être pas l'aventurière que je croyais être et s'il y a eu un combat entre l'île et moi, c'est toujours l'île qui gagne».