Affaire Merah. La DCRI en question

Mohamed Merah est passé entre les mailles du filet des services de renseignements qui le pistaient depuis 2006. C'est pourtant son nom que ces services livrent dès qu'éclate l'affaire du «tueur au scooter». Retour sur les paradoxes de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). > Retour sur toute l'affaire Merah

Encore à la tête de la DCRI durant l'affaire Merah, Bernard Squarcini s'était rendu auprès du Raid à Toulouse. Photo L'Est Républicain/ A.Marchi
Encore à la tête de la DCRI durant l'affaire Merah, Bernard Squarcini s'était rendu auprès du Raid à Toulouse. Photo L'Est Républicain/ A.Marchi
Comment Mohamed Merah a-t-il pu passer sous les radars de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), alors qu'il était suivi depuis 2006et qu'il se serait rendu à trois reprises dans des zones de combats jihadistes (Irak, Afghanistanet Pakistan)? Une source proche du dossier avance plusieurs explications.

Un : la DCRI ne travaillait que dans le cadre d'une enquête administrative, sans moyens de contrainte. Impossible de vérifier les informations sur les séjours à l'étranger (la Direction générale de la sécurité extérieure ne répond alors pas aux sollicitations de la DCRI selon cette dernière).
 
Deux : tous les moyens possibles dans le cadre de cette enquête administrative (écoutes, filatures,etc.) ont été utilisés et n'ont donné aucun résultat exploitable.

Trois : dans la seule région Midi-Pyrénées, en dix ans, plus de 200 islamistes auraient effectué des séjours en zones sensibles. Plusieurs dizaines - 46précisent les auteurs de l'«Affaire Merah: l'enquête» qui sort aujourd'hui - présentaient un profil «beaucoup plus sérieux et inquiétant» que celui de Mohamed Merah.

«Promu» suspect Nº1

«Avec seulement sept fonctionnaires affectés au terrorisme dans la région (dont le terrorisme basque), la DCRI procède par priorités. Mohamed Merah n'en était pas une», affirme, aujourd'hui, un policier. Étonnant. Car, à l'époque des faits, la DCRI dit l'inverse. Selon nos informations, la DCRI établit, dès le début de l'enquête, le vendredi 16mars, au lendemain de la tuerie de Montauban, deux listes de quinze suspects potentiels (ramenées, le soir du lundi 19mars, à six suspects par liste) pour chacune des deux principales pistes : l'extrême droite et l'islam radical.
 
Qui la DCRI place-t-elle dans sa liste des quinze islamistes les plus dangereux de la région? Le même Mohamed Merah! «Il était même en tête de liste, confie un policier qui a participé à toute l'enquête. La DCRI n'a eu de cesse, ensuite, d'afficher cette conviction, même quand on ne savait pas encore lequel des deux frères pouvait être le tueur.» Comment quelqu'un, qui n'est pas classé parmi les islamistes les plus dangereux, devient-il en quelques mois LE suspect Nº1? Mystère.

Plainte classée le 23 mars 2012!

Autre interrogation: la DCRI manquait-elle d'éléments pour demander une enquête judiciaire et obtenir ainsi des moyens plus contraignants? Le 25juin 2010, pourtant, une plainte déposée par une mère de famille toulousaine contre Mohamed Merah leur livre sur un plateau ces précieux éléments manquants: séquestration, violences, vidéos jihadistes de décapitation montrées à un adolescent, appels au djihad,etc.

Le 21mars 2012, quand Le Télégramme révèle cette affaire, Me Mouton, l'avocat de cette mère en colère, ignore tout du sort qui a été réservé à cette plainte. Les auteurs de l'«Affaire Merah: l'enquête» affirment qu'une enquête, classique, a bien été déclenchée, mais qu'elle n'aurait pas permis de caractériser les faits reprochés à MohamedMerah. Selon eux, cette plainte a été classée sans suite le 21 janvier 2011.

Faux. Si l'enquête, très limitée - La police se serait contentée d'entendre les protagonistes - a effectivement bien eu lieu, la plainte n'a pas été classée pour infraction non caractérisée mais... pour «décès de l'auteur», le 23 mars 2012! Le lendemain de la mort de Mohamed Merah, confirme Me Mouton, pour qui le dossier était «en attente d'audiencement».

«Je ne suis pas un extrémiste»

Côté DCRI, la plainte et son inquiétant contenu sont bien remontés jusqu'à elle, mais n'ont étrangement déclenché, de son côté, aucune alerte particulière. Il était pourtant extrêmement intéressant ce dossier. On y voit Mohamed Merah parvenir à tromper les enquêteurs, comme il trompera, dix mois plus tard, ceux du renseignement intérieur, à son retour du Pakistan (pour «faire du tourisme» et trouver une femme expliquera-t-il, photos à l'appui).

Tout d'abord, Mohamed ne se rend pas à la convocation que les enquêteurs ont lancée dès août 2010. Le jeune homme prétexte un deuil familial en Algérie. Plusieurs membres de sa famille, dont son père, l'attestent alors. Mohamed est bien à l'étranger. Mais pas en Algérie. En réalité, entre juillet et décembre, il cherche à rejoindre les combattants jihadistes au Proche-Orient, puis en Afghanistan!

Ce n'est qu'en janvier 2011 qu'il se présente aux policiers, se confondant en excuses. Tout en rondeur, il reconnaît alors des violences réciproques, mais nie farouchement tous les autres faits. «Je ne suis pas un extrémiste (...). Je n'embrigade aucun jeune du quartier. C'est n'importe quoi!» Mohamed Merah sait biaiser et convaincre. En mars dernier, au Télégramme, la mère à l'origine de la plainte de 2010 confiait: «Si vous le voyiez, vous lui offririez le café. Il semble doux comme un agneau et on lui donnerait le bon dieu sans confession.» C'est manifestement ce Mohamed Merah-là que les policiers toulousains ont reçu en janvier 2011.

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